CETTE CROIX QUI
VOUS EST OFFERTE…
par
le Père Lev Gillet
(« Un moine de l'Église d'Orient »)
(« Un moine de l'Église d'Orient »)
"La liturgie a
pris fin. Et maintenant l’Église vous invite à vous approcher et à baiser la
croix que la main du prêtre vous présente.
Vous allez
baiser la croix. Ce geste, beaucoup d’entre vous l’ont déjà accompli plusieurs
centaines de fois au cours de leur existence. Comment l’avez-vous accompli ?
A-t-il été simplement pour vous un rite, une formalité ? Ou a-t-il été une
rencontre vivante avec votre Sauveur, un ébranlement salutaire de tout votre
être ?
Vous allez
baiser la croix. Ce baiser n’a pas de sens, il n’est que mensonge, s’il ne
signifie pas que vous engagez votre volonté à la suite du Christ. Le baiser
donné à la croix est une option. Vous choisissez Jésus, vous l’acceptez comme
le Seigneur et le Maître de votre vie. Vous reconnaissez le droit absolu qu’il
a sur vous. Vous lui dédiez votre adoration et votre obéissance. Vous vous
consacrez à lui. De ce fait, chaque fois que vous baisez la croix, en esprit et
en vérité, vous opérez, ou, plutôt, Dieu opère en vous une coupure, une rupture
radicale avec le péché lointain ou récent. Celui qui sincèrement baise la croix
est changé.
Vous allez
baiser la croix. Non seulement vous allez accepter le Christ comme votre
Seigneur, mais vous allez l’accepter comme votre Sauveur. Baiser vraiment la
croix, signe suprême du sacrifice du Christ, c’est obtenir une expérience
personnelle de la grâce, de la Rédemption.
Vous croyez de
cœur, j’en suis persuadé, et vous confessez de bouche que Jésus a donné sa vie
pour vous et que, par lui, vous êtes pardonnés et purifiés. Mais cela est-il
demeuré pour vous une formule, ou est-ce devenu une certitude intimement
éprouvée et vécue ? Croire en Jésus Christ comme Sauveur et Rédempteur, c’est
se jeter dans ses bras et y jeter nos péchés. Vous allez poser vos lèvres sur
l’effigie du Crucifié, et, si vous le faites avec foi, avec confiance, avec
amour, un merveilleux et mystérieux transfert va s’accomplir. Tout votre péché
va être posé sur notre unique Agneau pascal, il va passer en lui, et toute sa
pureté va passer en nous. Car le don divin, manifesté dans le Christ, n’est
point que Dieu consente à fermer les yeux sur nos péchés et à les oublier, mais
en ce que le pécheur qui se repent et accepte Christ est rendu juste, de la
justice même du Christ. Cela, le croyez-vous ? Ce transfert, l’avez-vous jamais
senti ? Ou, tout au moins, y avez-vous réellement cru ?
Vous avez
souvent chanté la Résurrection du Christ ; mais il n’y a pas d’expérience
authentique de la Résurrection sans une expérience spirituelle de la Rédemption
; il n’y a point de Tombe vivifiante sans le Calvaire ; il n’y a point d’aube
de Pâques sans le Vendredi-Saint. À vous qui allez baiser la croix, une
possibilité inouïe est aujourd’hui offerte. C’est la possibilité de dire,
peut-être pour la première fois : je suis pur, je suis justifié, je suis sauvé
par la grâce à laquelle je m’ouvre ; mon péché n’existe plus ; j’ai goûté
l’efficace de la mort de mon puissant Sauveur ; baisant le Bois sacré, je suis
lavé par le Sang précieux qui le couvre.
Vous allez
baiser la croix. Celui qui y est fixé a accepté de la porter et d’y être cloué.
Nous parlons quelquefois de " nos " croix. Il n’y a qu’une seule
croix : la croix de Jésus Christ. Mais nos épreuves, nos souffrances, nos
sacrifices sont une participation à la croix de Jésus. Au moment où vous baisez
la croix, pensez qu’en acceptant vos anxiétés matérielles, peut-être votre
pauvreté, peut-être votre grave maladie, peut-être une déchirante souffrance
morale, vous allez faire ce qu’a fait Simon de Cyrène : marcher aux côtés de
Jésus et prendre sur votre épaule au moins une portion de sa croix. Nous ne
savons pas si des paroles furent échangées entre Jésus et Simon. Mais soyons
assurés que, si nous faisons de notre peine la peine de Jésus, si nous portons
un fardeau pour Christ ou, en Christ et avec Christ, pour les hommes, des
paroles secrètes et brûlantes seront échangées entre notre Sauveur et
nous-mêmes. Le moment où vous baiserez la croix sera celui où vous mettrez le
bois sur votre épaule et où vous entrerez dans un dialogue ineffable avec le
Sauveur.
Vous allez
baiser la croix. Le baiser est un signe de tendresse profonde et d’intimité. Il
y a aussi les baisers donnés mécaniquement, par routine, et qui laissent
indifférents ceux qui les donnent et ceux qui les reçoivent. Votre baisement de
croix doit signifier votre entrée dans une vie d’affection pour Christ, de
tendresse intensément personnelle. Quand vous baiserez la croix, essayez
d’entendre si le Sauveur ne vous dit pas une phrase, ou même un seul mot, qui
ne seront adressés qu’à vous seul. Si vous n’entendez pas cette phrase ou ce
mot, soyez cependant certains que Jésus les prononce et que, si vous êtes
fidèles, il vous arrivera de les découvrir et de les interpréter, et de vivre
ainsi sous la dépendance d’un Cœur de flamme.
Ce message
variera selon la nature et les besoins de chacun. À une âme dont la foi est
faible, Jésus dira : " Ne crains point : crois seulement " (Lc 8,50).
À une âme en oui déborde le fleuve de la douleur, il dira : Venez à moi, vous
qui souffrez et qui êtes accablés " (Mt 11,28). À une âme que le poids de
son péché oppresse, il dira : " Le Fils de l’homme est venu chercher et
sauver ce qui était perdu " (Lc 19,10). Et, à tous, le Crucifié auquel
vous donnerez un baiser dira : Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il prenne
sa croix et qu’il me suive " (Lc 9,23).
Allez-vous
baiser cette croix ? Ayant entendu ce que’ je viens de dire, peut-être vous
demanderez-vous quel homme oserait le faire. Il y a un baiser dont Jésus a dit
: " Quoi ! c’est par un baiser que tu trahis le Fils de l’homme ? "
(Lc 6,48). S’il en est parmi vous qui aient la volonté de pécher aujourd’hui,
ou demain, ou après-demain, après avoir baisé la croix, que ceux-là
n’approchent pas. Leur geste serait sacrilège. Je ne dirai rien de ceux dont la
conscience est en paix et l. don d’eux-mêmes total. Mais au grand nombre de
ceux qui désirent donner à la croix un baiser sincère, et qui cependant se
sentent faibles et craignent à bon escient de tomber demain, ou après-demain,
ou bientôt, le Sauveur dit : " Celui qui vient à moi, je ne le mettrai
point dehors " (Jn 6,87)."
Allocution
prononcée à l'issue de la liturgie,
à la Journée de la Fraternité Orthodoxe,
au Foyer d’Étudiants de la Cimade, Masey-Verrières,
le dimanche 12 juin 1966.
Publié dans Contacts, no. 55 (1966).
à la Journée de la Fraternité Orthodoxe,
au Foyer d’Étudiants de la Cimade, Masey-Verrières,
le dimanche 12 juin 1966.
Publié dans Contacts, no. 55 (1966).
BULLETIN " LUMIÈRE DU THABOR", 2002